Antoine Pallavicini ou une manière d’être au monde, une biographie d’Anoine Pallavicini
Michaux nous prévient que le risque de la faiblesse – à étendre à la vulnérabilité – est de tomber dans une relation de dépendance vis-à-vis du monde :
« Je suis tellement faible (je l’étais surtout), que si je pouvais coïncider d’esprit avec qui que ce soit, je serais immédiatement subjugué et avalé par lui et entièrement sous sa dépendance ; mais j’y ai l’œil, attentif, acharné plutôt à être toujours bien exclusivement moi. »[1]
Antoine Pallavicini savoure sa propre vulnérabilité, cette façon d’être à fleur de peau, de tâter le pouls des choses, se lover dans les creux du monde, tout en échappant à toute forme de pression exogène. Imprégné du parfum envoûtant d’une Corse souveraine, il est habité de la force et de la puissance de son pays tout en fuyant toute relation de soumission. C’est un artiste dionysiaque inspiré par les muses de la musique et de la danse mais si son art est dionysiaque par ses origines, il est apollinien dès qu’il se métamorphose en sculpture, dessin, peinture.
Au commencement de tout son travail est l’émotion, la sensation, l’instinct. Toute cette sensualité caractéristique de l’enthousiasme dionysiaque a de quoi enthousiasmer l’esprit le plus pragmatique.
De l’art de la photographie, Antoine Pallavicini a gardé, à l’exemple de Delacroix, un œil perçant, sûr, à l’affut de la forme. Néanmoins il est homme à saisir la forme et l’esprit de la forme, ce qui fait toute la différence entre reproduction et métamorphose.
De ce regard, à la fois rempli de douceur, tout en étant transperçant, il caresse la forme à naître, l’effleure, la frôle, avant de la métamorphoser. Le bois vibre et devient instrument de musique au corps et à la sensualité féminine. Le bois se creuse et se tend pour que surgisse la cambrure d’une pointe de danseuse. Antoine Pallavicini transforme le bois en instant de grâce. L’artiste exerce son privilège qui l’excepte de tous les autres individus de pouvoir faire de son fantasme un objet réel ; le secret du comment et du pourquoi de l’opération demeure propre à son auteur, mais ce qui nous importe, à nous tous, spectateurs éblouis, c’est que ce fantasme qui lui est particulier, singulier, provoque dans le même temps, le surgissement de notre plaisir. Nous vibrons à l’unisson.
Mais si Antoine Pallavicini sait toucher la corde sensible de notre propre sensualité, il sait également nous emplir des larmes de la tendresse, de l’amour et de la compassion : je pense à ce dessin si intime du père mort ; de son baiser à l’enfant. Le dessin nous rend vulnérables, il nous renvoie à des notions de fragilité, de précarité, d’éphémère. Antoine Pallavicini trace une ligne perméable qui nous relie à lui plus qu’elle ne nous sépare. Le dessin du baiser du père à l’enfant laisse une trace de ce qui nous fuit. S’ensuit un trait particulier, à la fois frêle et fort. On comprend que ce n’est pas seulement l’exercice du voir qui est couché sur le papier mais la vision habitée par ce qu’elle porte de plus vulnérable : le sentiment de l’amour allant du père au fils qui devient, au fil du tracé, la passion du fils envers son père. Le tracé rend au père l’opportunité d’une renaissance ouverte sur l’éternité.
Christine Bretonnier-Andréani, docteur ès lettres
[1] Henri Michaux, Plume précédé de Lointain intérieur, nrf, Poésie / Gallimard
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