Chapitre I
Longtemps, je me suis levé de bonne heure…
(Fred, 5 Novembre 2014) Longtemps, je me suis levé de bonne heure. Parfois, à peine mon réveil éteint, mes yeux s’ouvraient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je me réveille. » Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de me lever me rendormait.
Aujourd’hui encore, après plusieurs tentatives, me voilà reparti à la recherche du bonheur perdu, à la bonne heure perdue …
Je m’aperçus à ma grande surprise…
(JAP, 5 Novembre 2014) Je m’aperçus à ma grande surprise qu’ayant changé de pantalon j’avais laissé la carte de visite de mon rendez-vous dans la poche gauche du jeans que j’avais porté depuis six mois. Je décidai de faire marche arrière. Décision difficile car il était déjà 9h12 et j’étais pas mal à la bourre…
S’il existe une vie après la mort…
(Gaëtan, 8 Novembre 2014) S’il existe une vie après la mort, j’aurai sans doute une occasion de me mettre enfin à jour : reprendre la liste de tout ce que j’ai dû remettre au lendemain. Ecrire ma biographie. Rendre les invitations, bien sûr. Et surtout prendre le temps de trouver un sens à mon existence. Je ne pense pas que l’on puisse mener cette réflexion sans un recul que seul le décès peut nous donner. Je suis bien conscient que tout cela ne saurait constituer une excuse valable pour un retard, mais y penser est un moyen facile de trouver moins ennuyeux le retour à mon domicile. Il ne me restait donc plus, maintenant, qu’à renverser la corbeille de linge sale trouver ce maudit jean et en extraire cette saleté de carte de visite.
La porte de l’appartement ne suffisait pas à contenir…
(Gaëtan, 15 juin 2016) La porte de l’appartement ne suffisait pas à contenir l’interprétation tonitruante de Carmen de Bizet que je reconnus immédiatement. Il n’y avait nulle place pour le doute ou l’hésitation : Dominique était sous la douche.
Je n’avais pas terminé la lecture de l’œuvre de Carlos Castaneda, mais je savais où me procurer du peyote. Je changeais donc immédiatement mes plans et repartis en direction du café de la paix.
En y entrant, j’aperçus Raymonde…
(Nanard, 7 juillet 2016) En y entrant, j’aperçus Raymonde, la patronne trônant derrière le zinc. Pour le coup, le doute était permis. A la différence de Dominique, elle devait être allergique à la douche. Mais l’incertitude hygiéniste ne semblait pas importuner Fernand, que l’on entendait s’affairer sur son plat du jour dans l’arrière cuisine. En m’accoudant au bar, j’entendis le grognement de Rolfy. La maison était bien gardée. Le sourire de sa maîtresse, au goût amer de cactus, m’incita à commander « une Tequila, siouplaît M’dame ».
Vous avez vu Carlos ces derniers temps…
(Fred, 12 août 2016) « Vous avez vu Carlos ces derniers temps ? ». A cette question Raymonde fronce le sourcil, me regarde, puis après un temps de réflexion me sort : « Carlos… , lequel Carlos, c’est qu’il y en a des Carlos dans le coin. » « Mais si, Carlos le Mexicain… ; celui qui s’installe toujours à la table du fond » que je lui lance. Là, à l’évocation de ces précisions, le regard de Raymonde s’allume, puis ses traits se tendent, son regard perçant me transperce ne me laissant rien présager de bon chez cette femme : « Ah celui-là… Tu peux l’oublier, je l’ai viré de mon établissement ; Je ne sais pas ce qu’il trafique au juste avec ces champignons mais ce n’est pas chez moi qu’il va faire cela ». Je sens que je suis en train de passer dans la catégorie des indésirables du café de la paix. Il est temps pour moi d’engloutir ma Tequila et de partir avant que Fernand ne rejoigne Raymonde derrière le bar.
Déjà j’entends le cordon bleu hurler…
(Nanard, le 13 août 2016) Déjà j’entends le cordon bleu hurler depuis son fourneau tandis que sa dulcinée laisse crisser une craie stridente sur l’ardoise gondolée : « Montbéliard purée en plat du jour, crème brûlée à la catalane ».
« Pas d’entrée ? », s’inquiète Raymonde. « Si, si ! Des champignons à la grecque », la rassure son Fernand. Je n’ose revenir sur mes pas pour interroger : « fournis par Carlos ? ». Je préfère éviter de provoquer ces cafetiers irascibles, quoique autoproclamés pacifistes. La paix, il me faudra la chercher ailleurs… Auprès de Carlos, avant d’en jouir avec Dominique.
Je ne pourrais pas certifier qu’il y ait eu intervention divine…
(Gaëtan, 5 septembre 2016) Je ne pourrais pas certifier qu’il y ait eu intervention divine, mais c’est en passant devant une église que j’ai eu cette révélation somme toute salutaire. Quand on est interdit de séjour au café de la paix, il ne reste pas beaucoup de choix pour s’en jeter un. Me voici donc prenant la direction de « Chez Hossine ». Il est trop tôt pour le tajine de Fatima mais je suis dans une autre quête et prêt à écluser quelques pastis en attendant l’arrivé de Carlos. Mon pas est volontaire et je dérange des pigeons qui picoraient un vieux reste de kebab à travers une grille de fonte au pied d’un platane de l’avenue.
Ces platanes, flanqués d’un square…
(Nanard, le 9 septembre 2016) Ces platanes, flanqués d’un square où trône un kiosque, confèrent son cachet impersonnel à notre petite ville. Une vague rivière passait par là. Un promontoire semblait propice à l’édification d’un oppidum. Et nos ancêtres les Gaulois y firent halte. Pendant quelques siècles, les Romains l’oublièrent avant que des moines ne viennent s’y installer, attirant vers eux quelques féaux laïcs. Seules les foires annuelles empêchèrent la cité de péricliter sous l’ancien régime. Puis le XIXème siècle y amena le train et quelque industrie textile. A défaut de tilleuls rimbaldiens, on planta des platanes en guise d’ombrelles à la promenade. Les cœurs fous valsifièrent à travers le roman, tant et si bien qu’on construisit un édicule dédié à la musique.
Et les accordéonistes du dimanche y glorifièrent un autre Carlos. Argentin, celui-là. Mais déjà la nostalgie du tango s’est estompée quand le bip de mon portable vibrionne. C’est Dominique qui me gratifie sans transition d’un « Quest-ce que tu fous, bordel ? »…
Silence sur la ligne…
(Fred, 26 septembre 2016) Silence sur la ligne… Que dire à Dominique ? J’entends sa respiration de plus en plus fort dans le téléphone et toujours rien à répondre ; je reste bloqué devant « Chez Ossine » sans pouvoir sortir un mot. Il me semble que cela dure une éternité… « Mais qu’est-ce qui se passe ? Allo, tu m’entends ? » Je finis par bredouiller un : « Allo, oui, attends une seconde… Je te rappelle dans 5 minutes ». Je me sens minable mais c’est tout ce que je peux sortir. Je suis tellement dans ma quête de Carlos que mon esprit est occupé tout entier à cela. Là je déconne à fond et je le sais. N’empêche que j’entre « Chez Ossine » en entonnant un « Salut la compagnie ! »
Comme je m’y attendais…
(Nanard, 27 septembre 2016) Comme je m’y attendais, il est encore trop tôt pour Carlos. Pourtant à ma grande surprise, la table où il a ses habitudes se trouve occupée. C’est Inès, dont la beauté me rend suffisamment mal à l’aise pour oublier l’instant qui me sépare du rappel de Dominique. En m’approchant de cette rousse ravageuse, je tends la joue en guise de salut. Mais je vois avec déplaisir une main se tendre, comme pour esquiver la bise sollicitée.
– Bonjour Inès. Carlos n’est pas là ?
– Comme tu vois, répond-elle sur un ton de nature à maintenir entre nous les trente centimètres réglementaires.
Je ne sens pas en moi le courage de lui demander « vous dansez, mademoiselle ? », ni mon reste au demeurant.
– Tant pis, je repasserai. Ciao bella !
Je me suis réfugié près du kiosque pour rappeler. Ayant de fait soigné le mal par le mal, j’étais blindé pour affronter l’amer « parfois, je ne te comprends pas » de Dominique.
Je citai de façon très approximative Castaneda…
(Gaëtan, 26 septembre 2016) Je citai de façon très approximative Castaneda : « Peu importe le chemin : tous les chemins se valent ; l’important est de suivre un chemin qui a du coeur ! » Que compris Dominique ? Toujours est-il que l’abandon de son ton inquisitoire me conforta dans l’idée j’avais fait le bon choix en fuyant l’appartement. J’avais évité ses questions et j’avais donc le champ libre.
Ma rencontre avec Dominique remonte au collège. Ça ne date pas d’hier ! Nous étions à l’époque tous les deux un peu enveloppés mais surtout inséparables. Nos camarades de classe nous avaient donc surnommés les deux Roberts. La puberté passée, nous étions resté en contact et seule la présence de Gabriella avait réussi à l’éloigner un peu de moi. A sa mort, Dominique vint immédiatement partager mon appartement. Depuis, nous sommes à nouveau inséparables. La situation me convient. Il m’est juste impossible de reprendre un chat. De toute façon, Gabriella est irremplaçable et Dominique ne peut rien à ses problèmes d’allergies.
Puisque Carlos était introuvable…
(Gaëtan, 16 octobre 2016) Puisque Carlos était introuvable, je décidai de céder à la tentation et de retourner voir Inès. Elle m’accueilli par un large sourire que je saisis comme une invitation à m’asseoir à sa table. Elle prit l’initiative d’entamer la conversation. « Tu sais, c’est la même chose pour tout le monde. Tu le cherches, tu le cherches… Il n’a pas de portable, et puis il ne dit jamais où il va. » Comme elle parlait, Inès glissa son index sous la chaînette qu’elle portait autour de son cou. D’un mouvement délicat elle fit apparaître dans son décolleté un petit pendule d’améthyste. « Moi, ajouta t’elle, je fais comme ça : » Elle disposa sur la table le sel, le poivre, la moutarde et tout ce qu’elle put trouver, y compris mon paquet de cigarettes et mon briquet, de façon à constituer un plan de la ville. Le vinaigre représentait le commissariat, le ketchup le Mc Do mon paquet de cigarettes le kiosque à musique et ainsi de suite. Après quelques manipulations ésotériques avec son pendule, elle dit simplement « Dis nous où est Carlos. » Et c’est ce qu’il fit vibrant de façon stationnaire au dessus du cinéma.
L’attente fut de courte durée…
(Daniel, 9 février 2017) L’attente fut de courte durée à la sortie du cinéma. La poignée de clients qui s’étaient imposés le visionnement de ce vieux nanar en noir et blanc étaient tous sortis en à peine trois minutes et il fut donc assez aisé de constater que Carlos ne figurait pas parmi les victimes de ce vieux film. Il paraît qu’il s’agissait pourtant d’une œuvre majeure du cinéma d’antan. Inès se défendit immédiatement contre mes commentaires plutôt sarcastiques : « Mais je ne comprends pas, le pendule ne se trompe jamais, Carlos est sûrement sorti avant la fin du film ». Il ne servait à rien de discuter plus avant avec Inès des vertus de son pendule, cela ne ferait pas apparaître Carlos pour autant. Cependant, l’erreur étant plus l’attribut des humains que des pendules, je demandai à Inès si elle aurait pu mal interpréter les oscillations de son instrument divinatoire : « C’est pas possible. La manière dont il vibrait au-dessus de la salière ne laissait aucun doute. Il n’a pas hésité longtemps au-dessus du ketchup et de la moutarde. T’as bien vu que tout de suite après tes clopes il a filé tout droit par-dessus le vinaigre et le cendrier pour s’immobiliser au-dessus de la salière et a été aussitôt saisi de transes incontrôlables. Pour moi, cela ne fait aucun doute, Carlos était bien là, au moins au moment où le pendule a désigné le cinéma».
« Est-il possible que tu te sois trompé de cinéma Inès ? »
« Non, il n’y en qu’un par ici »
Je me livrais rapidement à quelques calculs simples. Le cinéma ne se trouvait qu’à 5 minutes à pieds de Chez Hossine et si donc Carlos se trouvait bien au cinéma lorsque le pendule l’indiqua, il n’avait pas pu aller très loin. Cette hypothèse ne me paraissait cependant pas très plausible. Aussi ennuyeux qu’ai pu être ce film, Carlos ne serait pas parti si vite. Il n’avait aucune raison de fuir ainsi. Cette explication peu convaincante pouvait certainement rassurer Inès, qui ne jurait que par son pendule, mais elle me paraissait représenter une immense perte de temps à moins que…
Tout à coup, une autre explication possible m’apparut. Si Inès ne s’était pas trompé de cinéma, que Carlos n’y ai jamais été et que le pendule ne se soit pas trompé, il ne restait plus qu’une seule possibilité.Et si la salière désignait non le cinéma mais tout simplement le sel. Ce ne serait donc pas Inès qui aurait mal interprété les indications du pendule mais le pendule qui aurait mal compris la symbolique confuse d’Inès. En effet, s’il paraissait assez évident que le ketchup désigna le MacDo et le vinaigre le commissariat, comment imaginer qu’un pendule, aussi voyant soit-il, puisse deviner qu’un cinéma puisse se ficher dans une salière. Je suggérai donc très diplomatiquement cette idée à Inès : « Le pendule, se tromper ? tu plaisantes. On travaille ensemble depuis des années, il me connait par cœur et puis il n’y a pas de mine de sel dans le quartier et Carlos n’est sûrement pas caché dans la salière ». Cette idée que Carlos pût s’être glissé dans la salière amusa beaucoup Inès mais elle trouva totalement ridicule de suggérer qu’une mine de sel fût à proximité ; on n’était pas en Sibérie ici !
Il n’y avait certes pas de mine de sel mais il me semblait que la mairie entreposait des quantités Importantes de ce minéral dans un quartier voisin. Un ancien entrepôt à vin reconverti en réserve à sel qu’on utilise l’hiver pour répandre sur les routes verglacées.
Il ne fût pas si difficile de convaincre Inès…
(Gaëtan, 10 février 2017) Il ne fût pas si difficile de convaincre Inès de me suivre, mais l’enthousiasme n’y était plus. Nous marchions comme deux promeneurs et si nous échangions quelques mots, nous évitions toute allusion à cette recherche de Carlos, sans laquelle nous ne serions pourtant pas ensemble dans cette rue. L’entrepôt communal était bien entendu fermé pour l’heure du déjeuner et il faudrait attendre quatorze heures pour découvrir le corps de Carlos abandonné sans vie au pied d’un tas de sel.
Il semble très improbable que la police mette plus de temps que moi à trouver que je suis dans de sales draps. Inès avait prétexté un rendez-vous pour me laisser attendre seul l’ouverture des services municipaux de la voirie. J’avais patienté, assis sur un banc, en poursuivant la lecture d’un roman oublié dans la poche de mon pardessus. Je pouvais peut être encore sauter dans un avion pour ne revenir qu’après la fin de l’enquête.
Je décidai cependant d’attendre tranquillement…
(Daniel, 11 février 2017) Je décidai cependant d’attendre tranquillement l’heure d’ouverture de l’entrepôt en continuant ma lecture.
Une brusque secousse me réveilla et me fit lâcher mon livre des mains. Il était deux heures et demie et l’entrepôt n’était toujours pas ouvert. Combien de temps étais-je resté là sur ce banc à tenir mon livre sans le lire ? Peut-être une heure, peut-être plus. Je ne me souvenais même pas de l’heure à laquelle j’étais arrivé là en compagnie d’Inès.
La fatigue m’avait rattrapé sur ce banc.
J’avais toujours aussi faim mais les effets de la Tequila commençaient à s’estomper légèrement.
Je ne me souvenais pas en détail du rêve qui m’occupait l’esprit au moment de mon réveil mais j’étais rassuré de me retrouver sur ce banc et non dans un aéroport en partance vers je ne sais où, fuyant une scène de crime qui fort heureusement n’avait pas eu lieu, du moins l’espérai-je.
Je fus tout à coup saisi d’une angoisse qui me tordait les entrailles. Et si Carlos gisait derrière cette porte dans une mare de sang au pied d’une colline de sel ?
Enfin l’employé municipal arriva et ouvrit la porte de l’entrepôt.
« Vous attendez quelqu’un ? » me lança-t-il d’un air suspicieux.
« Non, non, je voulais seulement voir »
« Voir quoi exactement ? Un tas de sel ? » Je me rendais compte que ma réponse était totalement dépourvue de sens et ne pouvait qu’accroître la méfiance de cet employé.
Je balbutiais un semblant d’explication confuse. « Un ami m’a donné rendez-vous ici. Ce n’est pas la salle des fêtes ici ? »
« Vous vous fichez de qui ? Ya que du sel ici, ça ressemble à un endroit pour faire la fête peut-être ? Allez déguerpissez, allez donc cuver ailleurs, vous puez l’alcool à plein nez »
Il n’avait pas totalement tort. La téquila se consomme certes avec un peu de sel, mais là il me faudrait quelques bouteilles avant de vider cette salière géante.
Je m’éloignais prudemment du dépôt car cet employé zélé du sel commençait à être menaçant.
D’ailleurs je ne pensais pas que Carlos put se trouver là après tout. L’employé municipal n’avait pas l’air d’un assassin et je ne voulais pas non plus lui donner l’occasion d’en devenir un en m’attardant plus longtemps.
Ma priorité était désormais de remplir mon estomac d’un peu de nourriture solide.
Enfin Dominique sortit de la salle de bains. Il lui fallut à peine plus de dix minutes pour choisir le peignoir à enfiler et se rendre dans la chambre pour s’habiller. Il parcourut les quelques mètres entre la salle de bains et la chambre de la démarche volontairement chaloupée que seules adoptent les mannequins dans un défilé de mode. Une fois habillé, il retourna dans la salle de bains pour y jeter ses sous-vêtements dans le panier à linge sale.
« Oh mon Dieu! Quelle horreur ! » s’écria-t-il en soulevant le couvercle.
Il fut projeté en arrière par le dégoût que lui inspirait la vue d’un jean répugnant, trônant par-dessus une pile d’immondices vestimentaires. Les odeurs mêlées de sueur, de téquila et de pastis le saisirent à la gorge et il dû s’agripper fermement à la poignée de la porte pour ne pas défaillir. Cette puanteur émanant du panier-égout avait de surcroît totalement annihilé les délicats parfums dont Dominique venait tout juste de s’asperger.
Il courut immédiatement dans la petite remise à outils et revint équipé de gants et d’un léger masque blanc anti-pollution. Avant toute chose, il fallait absolument vider cette corbeille infernale et répugnante.
Il saisit le jeans par les pieds et le lança dans la machine à laver.
La bouche béante, la machine avala cet indigeste pantalon qui disparut vite dans ses entrailles obscures. Le jean fut rapidement suivi de quelques autres vêtements tout aussi dégoûtant, que Dominique balançait avec une frénésie qui aurait pu laisser penser que sa vie même était en danger.
Il s’empressa de refermer la porte du lave-linge aussitôt la dernière paire de chaussettes nauséabonde avalée.
Il n’avait pas eu le temps de remarquer qu’en projetant le jeans à travers la salle de bains, la carte de visite qui se trouvait dans l’une des poches, s’échappa de celle-ci et atterrit près de la cuvette des toilettes qu’elle manqua de peu. Dominique ne comptait pas s’attarder davantage dans cette salle de bains qui lui semblait désormais trop polluée. Il retourna dans la chambre finir de s’habiller. La carte de visite gisait sur le sol dur et froid de la salle de bains.
Une fois habillé, Dominique quitta…
Une fois habillé, Dominique quitta l’appartement laissant le lave-linge accomplir son œuvre. Le pendule n’était décidément pas très fiable. Je trouverai Carlos une autre fois. Cependant, le rêve que j’avais fait sur le banc près du hangar à sel me laissait quelque peu perplexe. Inès m’avait expliqué que Carlos était un marchand de rêves. Cela me paraissait un simple euphémisme pour dire qu’il vendait des cactus hallucinogènes mais, à mieux y réfléchir, un autre sens pouvait se dégager des paroles d’Inès, surtout depuis mon rêve étrange sur le banc. Et si Carlos était aussi un trafiquant de rêves au sens propre. Et si j’étais tombé par hasard dans un des rêves qu’il avait abandonné dans sa fuite? En reconsidérant plus attentivement cette vision du cadavre ensanglanté de Carlos au pied d’une petite colline de sel, je me disais qu’il s’agissait soit de l’un de ses propres cauchemars ou de l’heureux rêve d’un de ses plus farouches ennemis. En volant les rêves de vengeance de ses ennemis, pensait-il en affaiblir ainsi leur détermination à avoir sa peau ?
Dans quelle histoire m’étais-je donc embarqué ? Après tout je n’avais fait qu’oublier une carte de visite dans la poche de mon jean. Il était encore temps de me faire servir un déjeuner chez Inès et peut-être pourrai-je en profiter pour lui poser quelques questions.
« »Alors, tu l’as vu Carlos ? »…
(Daniel, 26 février 2017) « Alors, tu l’as vu Carlos ? » me demanda Inès avant même que j’ai pu m’asseoir à ma table préférée.
« Ben, je pense que ton pendule m’a un peu mené en bateau. Remarque il flottait bien son bateau, il y avait plus de sel que d’eau »
« C’est pas possible t’as pas dû bien regarder »
« Ecoute, il y a surement une explication, mais bon là tout de suite j’ai plutôt faim. Qu’est-ce qu’il te reste à ct ’heure-ci ? »
« Une escalope normande façon mexicaine »
« c’est quoi encore ce truc ? »
« C’est une spécialité dont l’idée m’est venue à cause de toi en fait » me répondit Inès avec un large sourire moqueur.
« C’est tout pareil que l’escalope normande sauf que j’accompagne avec une purée de guacamole flambée à la tequila. De toute façon à ct’ heure-ci il me reste rien d ‘autre. Tu sais j’ai eu du monde aujourd’hui, mais personne n’a voulu de ma spécialité normande à la mode sombrero »
La nouvelle recette d’Inès n’était pas si mauvaise que cela et j’englouti mon escalope presqu’en une seule bouchée.
Me voilà de nouveau…
(Fred, 26 février 2017) Me voilà de nouveau dans une phase de descente après une prise de peyotl. A l’évidence, cette « cam » était, cette fois-ci encore, associée avec une autre substance. Je me retrouvais avec cette sensation de désorientation, mais ça je pouvais encore le gérer. Le fait de ne plus être capable de faire la distinction dans ce que je venais de vivre entre le réel et l’hallucination était proprement intolérable. Alors que je n’avais pas encore recouvré toute ma lucidité, il me fallait me remémorer les événements récents pour ne pas me retrouver, comme la dernière fois, en salle d’interrogatoire du commissariat, en train de bredouiller des propos incohérents, avant de comprendre que les flics m’avaient ramassé dans la rue pour finalement m’enfermer en salle de dégrisement.
Si je ne sais plus faire la distinction entre le réel et les délires hallucinatoires, les souvenirs étaient bien présents eux. Le temps, lui aussi, se dérobait, et je ne savais plus dire si il s’était passé 2 heures ou 2 jours depuis ma dernière prise de peyotl. Il me fallait maintenant aller vite, très vite pour reprendre mes esprits. Fallait-il vraiment que je parte pour ne pas avoir à répondre de l’assassinat de Carlos, ou n’était-ce qu’un délire paranoïaque…
Inès avait bien remarqué…
(Daniel, 27 février 2017) Inès avait bien remarqué que je n’étais pas dans mon assiette, et que son escalope normando-mexicaine n’y était strictement pour rien. Elle connaissait par cœur tous les symptômes extérieurs de cette chute vers le réel. Elle savait repérer cet omnibus du retour au sol qui s’arrêtait à tous les étages de l’angoisse. Il ne fallait pas que je lâche. Combien de fois m’avait-elle guidé dans ce voyage ! La rentrée dans l’atmosphère se faisait toujours de la même façon, en brûlant.
Inès maîtrisait parfaitement l’art de distiller les nouvelles, bonnes ou mauvaises, en fonction des circonstances et là, devant ce plat improbable qui me renvoyait presque dans l’univers du peyotl, il me fallait une bonne nouvelle.
« Carlos vient d’appeler au fait, il te cherchait » lâcha-t-elle d’un air désinvolte. Cette fois, il n’y avait plus de doute. Ma capsule spatiale venait de s’écraser violemment au sol. La terre célébrait mon retour en me frappant d’un grand coup sur la tête.
« Comment ça, appeler, il n’est donc pas mort ? Je ne l’ai pas tué alors. Qu’est-ce que tu lui as dit ? T’es bien certaine que c’était lui au moins ?»
« Carlos ? Je reconnaîtrais sa voix même s’il devenait muet ! Je lui ai dit que tu le cherchais dans un entrepôt de sel »
« C’est la faute à ton pendule tout ça. J’aurais dû rester là tranquillement à l’attendre au lieu de courir comme un imbécile au cinéma et dans cette salière municipale géante »
« Ecoute, mon pendule ne s’est pas trompé. »
« Comment ça, pas trompé ? Tu te moques de moi. Carlos n’était ni au cinéma ni dans l’entrepôt de sel »
« Peut-être mais Carlos m’a dit qu’il était chez lui et regardait un film qu’il venait de télécharger. En réalité, on n’a tout simplement pas compris ce que disait le pendule. Il voulait seulement dire que Carlos regardait un film, c’est tout. Parfois les voix du pendule sont impénétrables»
« Bon ça va avec ton pendule, on dirait que t’en fais une religion. Et Carlos t’as rien dit d’autre ? »
« Tu le connais. Il dit ce qu’il veut quand il veut à qui il veut. Et puis ensuite il fait ce qu’il veut et ça ne correspond pas toujours à ce qu’il dit. Il a vaguement parlé de repasser ici peut-être ce soir, peut-être la semaine prochaine ou entre les deux. Il n’avait pas l’air très sûr. En tous cas il semblait s’inquiéter pour toi. Il a aussi dit qu’il passerait peut-être chez toi »
Je finis par prendre congé d’Inès…
(Gaëtan, 28 février 2017) Je finis par prendre congé d’Inès et décidai de rentrer chez moi. Je pourrais m’y allonger et attendre tranquillement de voir si Carlos me ferait la surprise d’une visite. La marche me fit du bien et j’eus même le sentiment de trouver une acuité et une force de raisonnement supérieures.
J’aurais pu attendre d’être à la maison pour tester mes nouvelles capacités sur un sudoku de niveau expert, mais mon impatience me poussa à vouloir éclaircir ce qui s’était passé durant cette matinée, dont les souvenirs confus me posaient de plus en plus problème. Je réalisai immédiatement que des passages entiers de mon histoire étaient incohérents. Inès n’avait jamais été patronne d’un restaurant, surtout pas de celui de Hossine et Fatima. Pourtant, je me revoyais clairement la rencontrer installée à la table habituelle de Carlos et quitter le restaurant en sa compagnie pour partir direction du cinéma. Cependant, à mon retour de l’entrepôt communal, Inès était devenue la patronne du restaurant où elle essayait de vendre des spécialités improbables comme « l’escalope normande à la mexicaine ». Mes souvenirs s’étaient détachés du réel à compter du moment où je m’étais réveillé sur ce banc ou peut être un peu avant. Palpant les poches de mon pardessus, je me rassurai un peu en constatant qu’il y avait bien un livre dans celle de gauche. Je vérifiai tout de même qu’il s’agissait bien de « la maison biscornue » de Agatha Christie. La seule explication à mes souvenirs délirants était une prise de peyotl. Si c’était le cas, j’avais bien rencontré Carlos, mais quand ? J’explorais la piste d’une simple aberration chronologique, mais sans résultat. Ça n’était pas la bonne piste, et puis il y avait cette vision de Dominique dans la salle de bain. Je n’étais assurément pas présent mais je l’avais vu charger la machine à laver. J’avais même vue la carte de visite tomber sur le sol. La seule explication était un épisode de désincarnation. Mais pourquoi avoir vu Dominique en travesti ? Le seul travesti de cette ville c’était Carlos. Si je m’en tenais au principe que le plus simple est le plus probable, Dominique laverait mon linge sale pendant qu’Inès nourrirait mon inquiétude. Je m’en tiendrais à cette hypothèse s’il me restait un peu de bon sens. J’allais de toute façon bientôt pouvoir vérifier si la carte de visite était bien sur le sol de la salle de bain. Il restait la question de savoir si je vivais mes propres rêves, peut être prémonitoires, ou ceux dont Carlos aurait parsemé cette après-midi de chien.
Fin de chapitre
(Fred, 2 mars 2017)
Chapitre II
« Quand tu regardes l’abîme, l’abîme regarde aussi en toi. »
Nietzsche
Filous Writers : Où notre narrateur…
Filous Writers : Où notre narrateur et néanmoins héros, sorti des brumes de l’alcool et des hallucinations de la mescaline, se met en quête du petit morceau de papier afin d’y retrouver l’adresse de son rendez-vous. Quête vaine, en vérité, puisque la notion du temps chez notre héros étant élastique, nulle chance que la date du rendez-vous corresponde à celle de notre héros. De toute façon notre héros change de peau…
Aujourd’hui, Dady est mort…
Aujourd’hui, Dady est mort. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un SMS : « Dady DCD. Enterrement demain. A+. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier…
Pourvu que je n’ai pas raté le rendez-vous…
(Daniel, 5 mars 2017) Pourvu que je n’ai pas raté le rendez-vous de Dady ! Si le message dit qu’il est décédé, il y a urgence. Hier est peut-être aujourd’hui. La seule façon d’en avoir le cœur net, c’est de me rendre au plus vite à l’endroit convenu pour recevoir les nouvelles instructions.
« Dady DCD ». La dernière fois que j’ai reçu ce message, c’était pour me révéler la véritable identité de Gabriella et m’ordonner de régler le problème au plus vite.
« Dady DCD » est un genre de « Jacques a dit », cela signifie seulement que Dady a décidé, je dois aller chercher de nouvelles instructions dans un endroit convenu d’avance. « Enterrement demain », « urgence absolue ».
Me voici donc à Paris, gare d’Austerlitz, relais toilettes. Je paie les 9,90€ à l’employé des douches qui me donne mon jeton. Surtout ne pas faire couler l’eau ! Attendre. La routine habituelle en somme. Attendre un nouveau message. Le temps paraît toujours long sous une douche qui ne coule pas. Je commence une partie d’échec contre mon smartphone, assis sur le banc étroit de la cabine. Il faudra un jour que je pense à télécharger un programme un peu plus sophistiqué. Je suis un peu fatigué de la défense sicilienne ou de la partie espagnole, c’est tout ce que cette application semble connaître. Le message arrive enfin : « Dady DCD. Paix à son âme ».
Cette fois, il fallait vraiment que je retrouve cette fichue carte de visite laissée dans la poche de mon jean. Ce second message ne me laissait aucun doute. L’heure était grave.
Je décidai de rentrer chez moi…
(Gaëtan, 7 mars 2017) Je décidai de rentrer chez moi. Je pourrais m’y allonger et attendre tranquillement. La marche me fit du bien. Je réalisai immédiatement que mon histoire était incohérente. J’allais de toute façon bientôt pouvoir vérifier si la carte de visite était bien sur le sol de la salle de bain. Dominique laverait mon linge sale pendant qu’Inès nourrirait mon inquiétude.
Je n’aimais pas beaucoup ces impressions de « déjà vu »…
(Daniel, 5 mars 2017) Je n’aimais pas beaucoup ces impressions de « déjà vu » qui suivaient souvent mes retours de voyage en peyotl. Certes, elles n’étaient pas les plus désagréables, le pire était passé, mais compte tenu de la situation, j’avais besoin de toutes mes facultés pour répondre aux nombreuses questions qui se posaient. D’abord, il me fallait faire le tri entre le réel et ce qui ne l’était pas.
Étais-je déjà rentré ou avais-je pris directement le chemin de la gare Austerlitz pour y recevoir ce message urgent sous la douche sèche?
Je me revoyais avec Inès, son pendule, une montagne de sel avec un cadavre ensanglanté à son pied, un banc, une escalope au guacamole flambée à la tequila, un message codé des plus énigmatique et sans cesse cette phrase de Castaneda, frappant mes tympans comme des acouphènes « Peu importe le chemin : tous les chemins se valent ; l’important est de suivre un chemin qui a du cœur ! »
Un peu comme on se réveille parfois le matin avec un air qu’on ne peut évacuer de sa tête. On le fredonne sans raison jusqu’au moment où il disparaît tout seul à mesure que le processus du réveil se complète. Ce mantra hypnotique de Castaneda occupa mon esprit pendant tout le trajet vers l’appartement qui pour le moment constituait mon unique objectif.
Rentrer et retrouver cette carte de visite que j’avais vu tomber de la poche de mon jean. Je ne sais pas si le chemin que j’empruntais avait du cœur mais pour l’heure, je m’écartais de celui de Castaneda, je ne m’intéressais qu’au seul but de pousser la porte de l’appartement et de me précipiter dans la salle de bains.
Heureusement que mes doigts se souvenaient du code…
(Daniel, 6 avril 2017) Heureusement que mes doigts se souvenaient du code et que ma rétine ne m’avait pas encore totalement renié. Le système de sécurité installé par le nouveau syndic de l’immeuble était certes très performant et utilisait les dernières technologies en matières d’indentification, mais ne faisait qu’ajouter aux contraintes déjà très pesantes pour chacun des habitant de l’immeuble.
De plus et depuis que certains occupants s’étaient plaint des nuisances causées par quelques-uns de leurs voisins, surtout moi, qui rentraient ivres à des heures jugées trop tardives, l’assemblée générale avait enjoint le syndic d’installer en plus des systèmes de sécurité, un alcootest qui interdisait à quiconque, même muni des bonnes clés, du code confidentiel personnalisé et de ses propres yeux , de pénétrer dans l’immeuble sous l’emprise de l’alcool.
M’étant déjà fait surprendre par ce dispositif forçant la sobriété et obligé de cuver sur le trottoir, j’avais pris l’habitude de ne pas rentrer directement de chez Inès et d’attendre de pouvoir montrer gosier blanc à ce nouveau cerbère impitoyable posté au pied de mon appartement.
Que le chemin menant à la poche de mon pantalon était jonché d’obstacles quasi insurmontables !
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Bises